Les éditions Passage d’encres viennent de publier N, de Philippe Jaffeux, le second volet du vaste et très intéressant projet d’écriture poétique sur l’alphabet (un livre par lettre), sur lequel travaille l’auteur. Second volet, en effet, car O/L’an avait été édité par l’atelier de l’agneau en 2011 ; Tapages en avait fait, à l’époque, la recension.
N poursuit ce projet d’écriture à « contraintes » visant à créer une résonance particulière entre le poème, la lettre étudiée, et l’alphabet :
« La lettre N, intitulée « l’énième », est composée de 26 carrés de 14 cm (et donc d’une superficie de 196 cm2). Chaque carré contient 26 phrases, 33 lignes et 32 interlignes ainsi que 196 lettres n dont chacune des apparitions est décalée. La ponctuation progressive consiste à mettre en exposant la dernière lettre des 26 phrases de la page A jusqu’aux 26 dernières lettres des 26 phrases de la page Z. La pagination élève chaque lettre de l’alphabet à la puissance n. La lettre n disparaît sur la dernière phrase avant de réapparaître dans un mot final qui annonce la lettre O. »
Un carré par lettre donc – et non plus des cercles comme dans O/L’an : la transition géométrique est intéressante – étant donné que le livre ne comporte pas de numéros de pages mais seulement des lettres : 26 pages, 26 lettres d’alphabet à la puissance n. Notons aussi l’écho entre la superficie de chaque carré (196 cm2) et le nombre de n (196 par carré).
On le voit, Philippe Jaffeux poursuit et approfondit son style et tisse à nouveau tout un réseau de correspondances numériques et alphabétiques, donnant un relief imposant à la lettre : il s’agit de donner à l’alphabet une dimension cosmique, créatrice, et presque déterminatrice : l’alphabet crée le réel, l’engendre, le définit, la lettre compose le chiffre, et vice versa. Dans N nous assistons presque à un pythagorisme littéraire, un monde qui s’invente et se suffit à lui-même, tandis que le texte de Philippe Jaffeux se fait de plus en plus litanique et incantatoire, presque hypnotique, même si, progressivement, le nombre de lettres mises en exposants augmente pour élever le texte à la puissance n et ainsi « hacher » la lecture.
N nous offre une alchimie du chiffre et de la lettre, une dimension magique et divine des mots, qui dépassent la seule dichotomie signifiant/signifié, pour mettre en avant l’aspect atomique de la lettre (atomos : ce qui ne peut être divisé ; mais aussi ce qui compose la matière).
Il nous tarde de découvrir les autres lettres. Il nous tarde aussi qu’un éditeur prenne le risque, ou le pari, de publier toute l’œuvre de Philippe Jaffeux en un seul volume. En attendant, il faut lire et relire N et O/L’an, et aussi faire un tour sur le site de Philippe Jaffeux où ses œuvres sont disponibles au format numérique.
Yannick Torlini
Philippe Jaffeux, N, éditions Passage d’encres, collection Trace(s), 2013, 14€
http://www.inks-passagedencres.fr/accueil.html
http://www.philippejaffeux.com/
Une note de lecture de Jacques Barbaut est également disponible sur Sitaudis.fr :
http://www.sitaudis.fr/Parutions/n-l-enieme-de-philippe-jaffeux.php