la langue des fantômes
comment faire ne serait-ce que
le premier pas dans la possibilité
de moi dans l’arythmie du je
mon caillot de sens dans le sang
de partout d’un bout à l’
autre du corps ça se démène
dans les matins qui n’en finissent pas
dans la corpulence des jours identiques
dans les silences de vivre silex
du feu de jamais dans le
café trop noir du quotidien
et les saisons froides d’exister
le moi remue avec ses entrailles
le moi me remue dans la
mixture de la langue figée
les paroles et ces passantes à
qui l’on voudrait crier des
je t’aime du fond du bourbier
d’être là sans solution oui
je t’aime dialogues de la vie
souterraine et des faiblesses
de la voix sans desseins
le corps est une pâte molle
le corps est une glaise de
chaque instant glaireux
dans le ça n’avance pas je
tais et la terre sèche soudain
nous ne construirons rien
puisque nous sommes le rien
du fond de la gorge vivre
à peu près l’hésitation de
tout le temps nous tue à
petit feu la gueule dans la
merde de presque ça avance
plié sous le poids du soi
tacite et tangent ça avance
je me cherche mais je
ne me trouve pas je
me cherche mais je
suis introuvable ici au fond
du trou d’ici et maintenant
ici tout au fond du là-bas
ici la main tendue en signe
de résignation ici esquisse le
geste embourbé dans le
semblant de jamais ici je ne
sors du je tandis que dehors
la vie continue ici ou fait
semblant
parlons-en de la vie ou
plutôt n’en parlons pas
puisqu’elle a choisi de se
taire ou de n’être qu’un
mot sur une page sans nous
chaque matin j’existe ou
je pourrais toujours un peu
tout au fond tout au fond
du trou de la voix vive
un peu plus un peu plus
la voix vivre se perd dans
nos chemins et nos routes toutes
tracées raccourcis terrés dans la
mixture de tout-le-monde je se
noie je se noie dans le noyau
de la parole sans adresse
du monde-objet à prix coûtant
chaque jour je suis un
slogan publicitaire
et la parole se monnaie au
prix d’exister moindre dans
la langue qu’on nous inflige
jusqu’à l’affliction d’être ou
n’être pas quelque part le nous
tiré d’un chapeau au hasard de
nos recommencements jusque
dans la vie en solde
criez à votre tour
je me vomis je me
vomis par tous les pores
du moi je n’en veux plus
du moi avec des mots tout
est indigeste il suffirait de
vomir le moi avec l’âme
du dedans l’âme qui est
tout au fond du bubon d’être
pris dans le parler adipeux
de l’instant identique pris
dans le hier de demain le
maintenant de peut-être le
jamais de encore et encore le
et si mais non le temps
est gras le temps est rond
le temps s’est bloqué dans
la gorge de milliers de nous
le temps se fout de nos
silences de mort
je n’existerai pas tant que la
langue du presque me parlera
Yannick Torlini