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Tapages, c'est les attardés de l'avant-garde. Tapages, c'est du réchauffé, parce que la cuisine c'est pas notre truc. Tapages, c'est ceux qui croient qu'on a encore un corps en état de fonctionner. Tapages, c'est ceux qui pensent que le poème est un corps en action.

Hypothèses de cuisine, de Philippe Païni (Hypothèse 7)

 

 

 

 

je pourrais dire dialogue

ici ce qui se passe entre nous

et même si l’évidence répond que je suis seul à parler

et j’entends son rire gras

mais on peut rire en retour de l’évidence

en répondant à sa réponse qu’elle est sourde au point de ne pas entendre tout le langage qu’il y a dans le silence

c’est cette contre-évidence la blancheur et la lisseur des assiettes sur la table horizontale entre nous

elles sont pleines si tu y prends garde de petits reflets qu’on n’identifie pas

mais qui sont pourtant le paysage parfait de l’événement que nous sommes d’être

deux pluriels ensemble

événement d’événements

inséparables et pourtant jusqu’au bout notre rencontre est de l’ordre de l’insolite

insolite aussi la forme strictement historique de nos solitudes ici inventées

toute rencontre est empirique et fait naître une forme empirique de solitudes

c’est l’idée même d’un silence silencieux qu’il faut faire taire dans les têtes

rien n’est moins silencieux que le silence

(écoute ici le rire du rire)

puisque l’histoire est sans repos notre passage l’un à travers l’autre

et que resterait-il de nous si ce passage pouvait ne serait-ce qu’un instant s’arrêter

ou s’il pouvait seulement passer sans transformer radicalement les passants-passés que nous sommes ensemble

rien ne le suspend nous passons sur son fil en équilibre et pourtant

nous ne pouvons non plus cesser de tomber

 

je dis dialogue et je le dis pendant l’étonnement de l’évidence

je me dépêche tant qu’il dure

j’en profite pour la mitrailler comme le photographe essaie de saisir l’instant même du mouvement

car mêmement l’évidence n’est qu’à la seconde de son foudroiement

puisqu’une autre déjà brûle en nous une forêt de certitudes

 

quand elle apparaît comme une vérité toute nue

nous pouvons brûler la vérité

et garder seulement la nudité dont nous revêtons ensuite un tout nouveau doute

le doute tout nu est la générosité nécessaire pour que l’événement de notre rencontre sous-entende que nous sommes nous l’événement de la rencontre

la nudité du doute est une grammaire appliquée à la parole qui empiriquement fait être la cuisine

elle est l’économe avec lequel nous pelons le réel jusqu’à son noyau de rêve

jusqu’à la nullité totale de la réalité

laquelle apparaît alors dans sa plus simple expression

une suite de mots qui ne peut atteindre en nous nul rivage

nulle digue ne peut en contenir l’accroissement

puisque la nudité nous multiplie devant la complexité de notre plus simple appareil

le langage

ne s’incarne pas dans notre chair mise à nu

bien plutôt

il n’est que s’il est

l’évidence même dite à voix haute enfin que nous le sommes toujours

et sans préméditer de l’ensemble du dit

et du tu

alors il est aussi ce qui infinit le noyau

et le corps qu’on est n’est que si le corps est toujours le langage qui se détache nettement des planches anatomiques

de la science

et de l’hygiénique réflexion des philosophies

et de la torturée démonstration des arts prise un temps pour le parangon de la révolte quand il s’agit toujours de réaffirmer la vieille morale pour laquelle le corps n’est jamais que le sale de l’humain

et d’asseoir sûrement dans notre viande les préceptes hérités

mais il ne suffit pas de prendre le parti du sale pour rompre avec les prémisses de l’hygiénisme

nécroser les oppositions ne dédogmatise pas les axiomes

même la gymnastique appliquée aux fossiles ne suffit pas à faire de la paléontologie une promesse d’avenir

la plasticité du passé n’est pas une garantie suffisante pour qu’une vie soit plus forte que seulement la survie

l’esthétique ne sent le corps et ne le sait que si

piqûres blessures scarifications et tortures en tous genres en assurent l’effrayante présence

ou si la duplicité du beau ne donne de la vie qu’une image arrêtée

morte plus morte encore que ce qu’en dit toute la dégradation en route de nos amas d’organes

c’est encore le corps en gloire et l’esthétique tend ses toiles peintes sur l’ensemble de ce qu’il y aurait à vivre et sentir vivre

même si c’est en gisant

même si c’est encore la descente de la croix

même si c’est l’extase froide des marbres

même s’il n’est plus qu’un crâne posé dans le clair-obscur d’une vanité

il demeure toujours que c’est

le corps

ce qu’ainsi on appelle

qui détermine par avance son image impeccable de chose putrescible

pour ne pas s’entendre qui s’invente jeté dans l’élan d’un vivre

 

mon corps n’est pas un lieu commun

même si je le donne gratuitement à qui vient

gratuitement dans cette cuisine

à qui s’amène aussi

bouche ventre souffle entre eux un remuement qui fait l’écoute toute

pleine de langage

 

 

 


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