Tapages, c'est les attardés de l'avant-garde. Tapages, c'est du réchauffé, parce que la cuisine c'est pas notre truc. Tapages, c'est ceux qui croient qu'on a encore un corps en état de fonctionner. Tapages, c'est ceux qui pensent que le poème est un corps en action.
je fais avec toi
une forme de vie
qui n’est pas une forme de livre
mais l’envol entre les pages du livre de nos nouvelles lèvres
ainsi
nous disposons sur la mer
et dans les forêts
et qui coule dans les grandes artères de la ville
une bibliothèque entière
entièrement vivante de toutes ses voix
les sues
les non-sues
les silencieuses qui creusent l’espace d’une respiration entre le savoir et le non-savoir
nous ne marchons pas avec nos pieds
mais avec une voix qui fait pousser nos pieds dans nos têtes
ainsi nos corps ne sont pas un amas d’organes correctement orthographiés et correctement identifiés dans l’ordre voulu par la bien-pensance de la biologie
nous avions déjà des corps bien avant de savoir comment s’organisait la machinerie sous la lisseur de la peau
bien avant sous la blancheur de connaître comment le rouge vivait d’être ce qui n’arrête jamais son chemin
notre corps n’est pas non plus la créature culturelle naît de sa séparation d’avec l’esprit
l’espace de pouvoir inventé entre eux ne concerne pas les exigences de notre force
cet espace de pouvoir constitué pour la domination et qui continue de nous faire oublier
a inventé une géographie politique totalitaire où l’impensé continue de tirer à vue sur la pensée
en se revêtant de l’uniforme de l’impensable
par exemple
le concept d’incarnation
dans toutes les circonstances où il s’utilise
dit sans le savoir qu’il y a une différence concrète
et immuable
et indéniable
entre les formes connues de l’aliénation
et les formes connues de la liberté
alors que la liberté n’a de formes qu’inconnues
et que les formes connues de la liberté ne sont en fait que des formes supportées de l’aliénation
le concept d’incarnation
ne peux mener qu’à une pensée déjà pensée
destinée à produire sur chacun la certitude complaisante que la vie passe par le chas d’une aiguille qui coud entre eux les longs moments de mort de la vie avec le fil de très rares instants d’intensité programmée
les définitions portées par cette représentation excluent à peu près tout le monde et à peu près toute les secondes des rescapés de l’idée même de la vie
de la vie dans le sens qu’elles autorisent
alors nous sommes des cadavres seulement habillés en dimanche
et quand nous croisons d’autres cadavres
et que d’autres cadavres nous croisent
il n’y a à voir entre nous que les vêtements mal rapiécés mais regarde bien le jour passe
or
l’habitude de l’espèce est de se battre
s’il le faut
et en dernier recours
pour la vie
non pour son contraire
si bien qu’il est à peu près certain
qu’on peut tout faire accepter à un homme dont la vie apparaît à tous
comme à lui-même
en lambeaux
déjà
le concept d’incarnation n’explique pas à lui seul l’acceptation avec laquelle nous accueillons les effets de la tyrannie
actuelle
et vieille
c’est la même
mais il est
dans tous les emplois qu’on peut en faire
solidaire des autres concepts qui font la représentation générale de la vie
l’idéologie
qui nous travaille quotidiennement
c’est un fil mince
tissé avec tous les autres fils
il fait le tissu couvrant qui aujourd’hui nous sépare de sa mince pellicule de ce que
sans lui
nous serions tenté d’appeler la vie
cette vie a lieu
ce sont nos bras nos mains qui s’imaginent ne pouvoir ni l’étreindre ni même la toucher
elle a lieu d’être son déplacement
cette vie
n’est ni à étreindre
ni à toucher
elle est à faire vivre de vivre
mince pellicule oui
fine membrane translucide
mais parfaitement étanche
à toute forme de lucidité
et maintenant sur la table de la cuisine d’où s’envole la présence têtue de notre rencontre
il s’agit d’entrer dans une matière détachée des certitudes
et des petits horizons caduques de la pensée déjà pensée
il s’agit
par un bond
conceptuel et non-conceptuel
théorique et pratique
joyeux et déterminé
d’ici même sentir par une pensée non prédictible
que nous sommes en plein dedans