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12 mai 2013 7 12 /05 /mai /2013 18:22

Les éditions Passage d’encres viennent de publier N, de Philippe Jaffeux, le second volet du vaste et très intéressant projet d’écriture poétique sur l’alphabet (un livre par lettre), sur lequel travaille l’auteur. Second volet, en effet, car O/L’an avait été édité par l’atelier de l’agneau en 2011 ; Tapages en avait fait, à l’époque, la recension.

N poursuit ce projet d’écriture à « contraintes » visant à créer une résonance particulière entre le poème, la lettre étudiée, et l’alphabet :

« La lettre N, intitulée « l’énième », est composée de 26 carrés de 14 cm (et donc d’une superficie de 196 cm2). Chaque carré contient 26 phrases, 33 lignes et 32 interlignes ainsi que 196 lettres n dont chacune des apparitions est décalée. La ponctuation progressive consiste à mettre en exposant la dernière lettre des 26 phrases de la page A jusqu’aux 26 dernières lettres des 26 phrases de la page Z. La pagination élève chaque lettre de l’alphabet à la puissance n. La lettre n disparaît sur la dernière phrase avant de réapparaître dans un mot final qui annonce la lettre O. »

Un carré par lettre donc – et non plus des cercles comme dans O/L’an : la transition géométrique est intéressante – étant donné que le livre ne comporte pas de numéros de pages mais seulement des lettres : 26 pages, 26 lettres d’alphabet à la puissance n. Notons aussi l’écho entre la superficie de chaque carré (196 cm2) et le nombre de n (196 par carré).

On le voit, Philippe Jaffeux poursuit et approfondit son style et tisse à nouveau tout un réseau de correspondances numériques et alphabétiques, donnant un relief imposant à la lettre : il s’agit de donner à l’alphabet une dimension cosmique, créatrice, et presque déterminatrice : l’alphabet crée le réel, l’engendre, le définit, la lettre compose le chiffre, et vice versa. Dans N nous assistons presque à un pythagorisme littéraire, un monde qui s’invente et se suffit à lui-même, tandis que le texte de Philippe Jaffeux se fait de plus en plus litanique et incantatoire, presque hypnotique, même si, progressivement, le nombre de lettres mises en exposants augmente pour élever le texte à la puissance n et ainsi « hacher » la lecture.

N nous offre une alchimie du chiffre et de la lettre, une dimension magique et divine des mots, qui dépassent la seule dichotomie signifiant/signifié, pour mettre en avant l’aspect atomique de la lettre (atomos : ce qui ne peut être divisé ; mais aussi ce qui compose la matière).

Il nous tarde de découvrir les autres lettres. Il nous tarde aussi qu’un éditeur prenne le risque, ou le pari, de publier toute l’œuvre de Philippe Jaffeux en un seul volume. En attendant, il faut lire et relire N et O/L’an, et aussi faire un tour sur le site de Philippe Jaffeux où ses œuvres sont disponibles au format numérique.

 

Yannick Torlini

 

Philippe Jaffeux, N, éditions Passage d’encres, collection Trace(s), 2013, 14€

 

http://www.inks-passagedencres.fr/accueil.html

http://www.philippejaffeux.com/

 

Une note de lecture de Jacques Barbaut est également disponible sur Sitaudis.fr :

http://www.sitaudis.fr/Parutions/n-l-enieme-de-philippe-jaffeux.php

 

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 22:34

Ça commence ici pas très loin ça commence où quelques années le néant pas très loin pas très loin et les années ou les secondes ou juste le temps de, et les années comment les vides s’entrechoquent comment les vides ça se mélange fusionne explose s’entrechoque pour donner quoi ça commence ici les vides puis moins de vide puis plus rien le vide, du plus profond de, pas de souvenirs seulement un écho pas de souvenirs, peut-être une résonance pas grand chose au final pas grand chose une résonance pas de souvenirs, ça commence ici moi pas grand chose quelques années pas dans le temps moi pas encore tout à fait moi, ni dans le temps ni dans l’espace pas tout à fait moi ni rien d’autre quelque chose sans commencement sans limite sans âge (qu’est-ce que c’est qu’est-ce que) une langue de chair pas encore d’oxygène une langue ça commence, dans l’étreinte chaude des entrailles de ma mère pas d’oxygène pas de temps pas d’espace (qu’est-ce que c’est qu’est-ce que), l’étreinte chaude cocon de muscles chairs organes fluides ça palpite ça commence le temps ça commence, des entrailles pas de temps pas d’espace ça commence seulement ça commence, seulement les entrailles ma mère qui pas le temps pas dans le temps ni l’air ni un jour et un jour et un jour comment pourtant ça commence pourtant comment commence ce moi comment commence ce (qu’est-ce que c’est qu’est-ce que).

Et comment tout d’un coup sur le point de, tout d’un coup quelques, sur le point de moi tout d’un coup et ça claque contracte crie ça crie oui une vibration dans le dehors puis de dedans puis ça crie, sur le point de, un morceau du corps qui se détache oui sur le point de, tout d’un coup ça se détache on m’a dit moi quelques heures durant ça se détache quelques heures durant on m’a dit, luttant contre le dehors quelques heures quelque sang luttant puis lâchant prise se détachant arraché luttant puis lâchant prise à nouveau, moi puis ma mère dans le dehors, luttant puis lâchant luttant puis lâchant expulsé puis moi tout riquiqui petit pas encore hurlant étonné oui riquiqui luttant puis lâchant prise dans le dehors tout riquiqui où ça commence le corps où sa s’arrête c’est quoi le début la limite, moi tout riquiqui étonné luttant contre l’air et les limites et quelques morceaux de chair mutilation quoi que c’est donc cette brûlure quoi que c’est donc, cordon autour du cou joues bouffies et bleuies quoi que c’est donc sans un cri moi m’étouffant déjà pas idée du corps m’étouffant m’étouffant pas voir rien voir ni les mains ni les pieds m’étouffant m’étouffant, ni rien juste pas très loin le corps chaud de ma mère puis, m’étouffant tout riquiqui toute asphyxie cordon déroulé joues dégonflées et un cri, tout riquiqui oui pas plus gros que mon corps toute asphyxie mon corps pourtant bien lourd déjà quatre kilos bien lourd pas plus gros dans le dehors luttant et luttant toujours et pas d’air mutilé arraché où que c’est ça commence où comment ça commence où ça s’arrête où, mais d’un coup la respiration cette brûlure qui ne quitte pas, cette brûlure gorge et poumons c’est quoi les poumons c’est quoi, puis les cris les pleurs et à nouveau l’étreinte de ma mère, les yeux en gelée pas voir rien voir seulement sentir se brûler les poumons c’est quoi se brûler à crier et crier et crier et crier c’est quoi crier pas voir juste sentir mains bras pieds étrange noyade dans l’oxygène poisseux étrange noyade oui, mutilation arrachement, toujours le cri peut-être la sensation d’être deux puis ça commence ça commence toujours ça commence sans cesse ça ne fait que commencer.

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1 mai 2013 3 01 /05 /mai /2013 13:22

et changer jusqu’au présent même changer, la façon d’habiter le corps. d’inventer, de nouvelles terres, de nouveaux alphabets, d’autres façons de s’aimer, et une idée différente du temps. mais les murs, se sont toujours refermés sur vous, camarades. se sont toujours refermés et vos portes ne s’ouvrent pas, sur cet ici, ce maintenant mais, sur d’autres portes et d’autres murs. ici, nous défaisons la maçonnerie des siècles ici, nous changeons même si ça va. cette autre idée de l’humain et du corps pourquoi oui, cette autre idée les kilomètres parcourus l’étirement du muscle, du tendon, pourquoi rien et beaucoup plus. pourquoi rien, et jamais demain nous ne.

 


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27 avril 2013 6 27 /04 /avril /2013 20:35

 

 

 

« Dans les textes publiés ici, on voit bien ce que Yannick Torlini entend par la malangue (ma langue, mal-langue...) : la mettre à mal pour se l'approprier, et ce faisant, pour la mettre à bien, si l'on peut dire. Il s'agit donc de "tirer la langue de sa prison", de la "gangue" dans laquelle la langue sans corps de notre quotidien est enfermée. Il faut sentir dans sa bouche l'épaisseur, le poids de cette langue, ce muscle, qui est aussi ce distributeur de mots. Une langue, au sens propre comme au figuré, irriguée du sang que le rouge épars sur la page suggère à sa façon. Veines, poumons, souffle, la poésie est corporelle, elle se mange, elle transperce les paupières de sa lumière, elle se transmet dans l'écho de ses mots (c'est peut-être ce que disent les lignes enlacées du deuxième poème), elle est au bout des mains qui caressent. La poésie sera charnelle ou ne sera pas. »

Joëlle Gardes, Place de la Sorbonne, N°3, avril 2013.

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17 avril 2013 3 17 /04 /avril /2013 21:46

 

 

la voix la route tourne la route la voix

je te prends en voix tu me rends 

nous irons nous rirons 

en Laponie en Cacophonie en Illyrie

toutes voix dehors 

je rentre mes envois

tu me rends mes renvois

nous rirons en route nous irons en tournée

avec

les Samis les Phonies les Lyries

pour

que je crie que tu ries que je crie

sur

la voix la route la voix

tourner autour

de ton tour de mon tour

nous tournons nous

à l’émeute

nos voix balbutiantes

nos balbutiements voient 

les cris et les ris

les rhizomes les roms les hommes

tournent un petit tour et s’envoient

dans nos voix la route crie 

sans carte ni graphie

sur les petits bateaux de nos balbutiements

tu tournes ma voix 

dans l’émeute 

petite flotte et grande caravane

de nos vitesses de nos voix de nos vies

rameutons

tous les balbutiements

sans jamais arriver

à détourner

ce qui tourne dans nos voix

dans ta voix

ameute

sans armes les larmes sans

ici ou là-bas

demain ou hier

balbutie les meutes

et rameute les voix

sur la route de l’émeute

nous ramons avec tous les roms

nous rimons la balade et mourons de rire

quand la voix de son maître 

aboie sans voix l’ordre sans loi

dévoyons l’aboiement

le mensonge ne voit pas nos songes

nous voyons les déboires

des sans voix et sans papiers

buvons 

en balbutiant 

toutes les voix de toutes

les vies qui font sans

avec rien

pour tourner la page

d’une vie de voix d’une voix en vie 

dans toutes les voix de l’émeute

balbutiante

sans lendemains qui chantent

sans attendre maintenant

la main de chaque voix

la voix de chaque main

le poème le passage

de ta voix dans ma voix

dégage

les grosses voix les grandes

pour nous écouter

dans nos balbutiements

nous sommes toujours des débutants

dans nos recommencements

bavardons bavassons bégayons

tous nos barbares en voix

nous nous entendons

comme émeute de voix

 

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13 avril 2013 6 13 /04 /avril /2013 18:25

Poexpress.jpg

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13 avril 2013 6 13 /04 /avril /2013 10:27

se briser contre les murs, disloquer les : maçonneries de chairs ici, plus avant tomber, plus en-dessous que vivre, chaque respiration amorcée chaque. ici les fusils, bombes, mitraillettes, molotov, et cette façon plus qu’ancestrale, plus qu’industrielle, de mourir. les barbelés non pas, mais. à l’intérieur de vous ici. les barbelés. ça va malgré le déchirement, l’emprisonnement et : cet empressement, à se joindre à. la terre cet : empressement. à devenir la jachère de.


ici inventer la gravité, quelque part la pourriture inventer la chute, puis le sang, et cette étrange façon d’avancer ici. toujours la boue, à bras-le-corps nos visages selon le froid, la pluie, et le temps qui ne passe pas martèle, burine, ravine. ici nous camouflons nos os nous habitons, le désastre et ces champs de caillasses. vous apprenez à vivre, entre les débris les ruines et, cette étrange volonté : de disparaître oui. de se fondre dans le chaos, de se fondre le sol et le silence malgré tout. nous inventons : la légèreté du corps chaque jour. la légèreté même la pierre, au plus tellurique de la langue. ici, ça va.


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7 avril 2013 7 07 /04 /avril /2013 15:42

ou bien : ne plus tenir cette position, ne plus admettre la gangrène du présent, et cette succession de maintenant + ici + chaque jour + demain ou bien, l’auto-persuasion : le monologue de votre peau, jusqu’au silence. ici la lutte est avant tout, le travail du sol avant tout, le modelage du corps et de l’os. le paysage est celui de nos têtes fières, de nos cheveux clairsemés, nos têtes nos cervelles sillonnées, trouées par. et la crasse. et cette absurde idée cette, absurde volonté, de tout changer, jusqu’à notre façon de mourir notre façon même d’exister. car ici nous mourons, camarades, dans le sang, la merde, et la menace de l’immobilité. nous mourons comme les mouches, et vos espoirs déjà presque vaincus nous crevons oui, à vos portes fermées, devant vos jours bien balisés, dans les treillis du quotidien et le mutisme de ceux, qui n’ont plus la force de. qui n’ont plus. et. ici oui : nous souhaitons mourir autrement.


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30 mars 2013 6 30 /03 /mars /2013 17:30

encore dans l’appréhension et, chaque instant qui passe chaque : souffle, ou plutôt redouter ici le déroulement redouter oui, le moindre craquement d’os. la moindre dislocation d’un mètre + un mètre + un mètre. au plus sombre de la nuit, de la terre et, dans les claquements de dents la friction la, désagrégation, de la peau et toute pensée : du jour suivant. vous : redoutez oui, cette progression de l’intervalle (vous) dès le matin cette : progression, de tout ce que vous n’auriez, jamais, imaginé accepter. ce qui, un mètre puis un mètre puis un mètre, vous : disloque. ici ça va, la lenteur du vivre nous écrase, le sol se hérisse de nos corps vous : nous entendez, malgré l’envahissement des bruits, et des mots parasites. ici, au plus silence ça : va.


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27 mars 2013 3 27 /03 /mars /2013 12:00

 

Paysages-du-corps-duel---couverture-1-copie-1.jpg

 

"Le moindre mouvement est une façon d’apprendre à habiter le silence qui nous enfante et nous tue pour nous semer aux vents de nos torpeurs de nos efforts immobiles et de nos recommencements chaque matin les mêmes toujours jusque dans les fureurs du quotidien la déraison et les colères de vivre mais ; encore un peu de souffle nous gonfle les poumons il n’y a d’acceptable que l’inutile"

 

 

Yannick Torlini, Paysages du corps duel, éditions Le Coudrier, 16 €

 

en commande à cette adresse

yannick.torlini[at]gmail.com

 


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